Les Ambassadeurs

Les Ambassadeurs

Paru en revue en 1903, Les Ambassadeurs est l’un des trois romans récapitulatifs, avec Les Ailes de la colombe et La Coupe d’or, d’un Henry James parvenu au sommet de son art. L'auteur lui-même considérait ce grand roman parisien comme son chef-d’œuvre : « Par bonheur, je me trouve en mesure de considérer cet ouvrage comme franchement le meilleur, “dans l’ensemble”, de tous ceux que j’ai produits. » Et de fait, c’est un de ses romans les plus brillants, les plus séduisants aussi. L’intrigue en est simple, même si l’analyse de ce qui va se jouer entre les divers personnages est, comme toujours chez James, extrêmement subtile. Elle est déjà présente dans les passionnantes « Notes préparatoires », plus de 100 pages inédites en français que nous donnons en annexe à cette nouvelle traduction : « En tout cas, cela me donne la petite idée d’un personnage d’homme âgé qui n’a pas “vécu”, pas du tout, dans le sens des sensations, des passions, des élans, des plaisirs – et qui, en présence de quelque grand spectacle humain, quelque grande organisation pour l’Immédiat, l’Agréable, la curiosité, l’expérience, la perception, en un mot, la Jouissance, s’en rend, sur la fin ou vers la fin, tristement compte. » Ce personnage, ce sera Lambert Strether, un Américain envoyé comme « ambassadeur » à Paris pour y récupérer Chad, le fils d’une riche amie, dont on craint qu’il soit en perdition morale. S’il parvient à ramener le jeune homme en Amérique pour qu’il se voue à l’entreprise qui lui est destinée, sa récompense sera d’épouser ladite amie qui, déjà, finance la revue littéraire qui est la seule identité de cet homme incapable d’action. Mais l’on comprend très vite, dès les premières pages du livre, que Strether va faire des rencontres susceptibles de modifier le sens de sa mission. Et qu’il ne sera lui-même pas insensible aux séductions du « grand spectacle humain » qu’est Paris – « le Paris des boulevards, contemplés du second étage des balcons haussmanniens et des toiles impressionnistes » (Mona Ozouf) – merveilleusement évoqué ici par James. Le roman avait été traduit par Georges Belmont pour les éditions Robert Laffont en 1950, une traduction qui est aujourd’hui introuvable. Cherchant à expliciter la totalité du sens, elle était bien moins « jamesienne » que la magistrale traduction de Jean Pavans qui, après quelques trente années de confrontation avec l’auteur des Ambassadeurs, en fait percevoir le très subtil humour, présent de la première à la dernière page du livre et qui parvient surtout à donner le sentiment qu’on lit, avec toutes ses ambiguïtés qui ne sont jamais gommées, le texte même de James, dans toute sa splendide vitalité.Contrairement à la traduction de Belmont, fondée sur l’édition américaine sans doute fautive, la version de Jean Pavans rétablit l’ordre chronologique des derniers chapitres de l’édition anglaise. « Bref, toute l’affaire se résume à la déclaration irrépressible de Lambert Strether au petit Bilham, un dimanche après-midi, dans le jardin de Gloriani […] : « Vivez autant que vous le pouvez ; c’est une erreur de ne pas le faire. Peu importe vraiment ce que vous faites en particulier, du moment que vous avez votre vie. Si on n’a pas eu cela, qu’a-t-on eu ? Je suis vieux... trop vieux en tout cas pour ce que je vois. Ce qu’on perd, on le perd ; ne vous trompez pas là-dessus. Cependant, on a l’illusion de la liberté ; par conséquent, ne soyez pas, comme moi, dénué du souvenir de cette illusion. J’étais, au moment venu, soit trop stupide soit trop intelligent pour l’avoir, et maintenant je suis un cas de réaction contre cette erreur. Faites ce que vous voulez, tant que vous ne faites pas mon erreur. Car c’était une erreur. Vivez, vivez !Henry James, Préface à l’édition de 1909.